Dames, Damoiselles, Sieurs et Damoiseaux,
Se retrouver projeté au cœur d’une de ses séries préférées, n’est-ce pas le rêve de tout un chacun ? Enfin, bien sûr, j’imagine que cela doit dépendre de la série… Les férus de The Walking Dead, par exemple, ne brûlent sûrement pas de se retrouver face à un zombie avide de chaire fraîche. Mais prenons une série vivante, pimpante, haute en couleur, gaie. Dans ce cas-là, plus d’hésitation : «Miroir, ô miroir, envoie-moi tout de suite dans cet univers ! ». Eh bien aujourd’hui, le miroir a exaucé mon vœu, et m’a expédiée tout droit dans Treme. Cette série retrace la vie des habitants de la Nouvelle-Orléans après l’ouragan Katrina, en 2005. La plupart des héros sont des musiciens, si bien que les parades et défilés constituent la toile de fond de chaque épisode.
J’ai donc passé la journée dans Treme – dans la série, oui, mais aussi dans le quartier qui lui a donné son nom !
Sautant du tram, j’ai remonté Bourbon Street, qui se réveillait difficilement après une longue nuit de festivités. L’ambiance est retombée. Dans un bar, tout de même, s’élève une musique courageuse, entêtée, persévérante, que les premiers rayons du soleil ne sont pas parvenus à éteindre. Les trottoirs peinent à respirer sous les déchets, qui n’ont pas encore tous disparu dans les nombreuses poubelles alignées au bord de la route, sentinelles ayant abonné leur poste. On aperçoit de-ci, de-là quelques âmes glissant, fantomatiques, sur l’asphalte ; dans leurs esprits embrouillés dansent encore les folies de la nuit.
Et puis la rupture. On tourne à droite, et l’on revient à la vie du matin, le vent frais achève de faire disparaître les dernières images de Bourbon Street éteinte.
Je suis alors allée écouter du Gospel à l’église Ste Augustine, située dans le fameux quartier de Treme. Je ne suis pas une experte en matière de messes, mais ce qui est certain, c’est que celle-ci n’avait absolument rien (mais rien de rien de rien) à voir avec ce à quoi j’avais assisté jusque là. Des chants, des chants, et encore des chants, qui se succèdent à l’infini, transportent, émeuvent, amusent parfois. Le prêtre qui demande si quelqu’un a fêté son anniversaire dans la semaine, un garçon qui lève la main, et l’ensemble de la petite église qui entonne «Happy Birthday to you», tout en dansant joyeusement. Cette femme, sur le côté, animée d’une ferveur quasi-magique, qui n’en finit plus d’agiter ses mains, paumes levées vers le ciel, qui chante avec la même énergie que les membres du chœur. Enfin, les premières notes de «We shall overcome» qui s’élèvent pour accompagner le départ des fidèles, et dont les paroles flottent encore dans la tête longtemps après la fin de l’office.
Au programme de l’après-midi : suivre une «Second Line Parade». Quelques chars prennent la tête du défilé, leur passage permettant de dégager la route et d’ainsi laisser la place aux danseurs de tout âge en costumes colorés et aux musiciens du «Brass band». Je me suis installée au «Treme Coffeehouse» afin de manger un bout, tout en étant aux premières loges pour guetter le début de la parade.
Quelques appels au trombone, timides dans un premier temps, invitent la foule à se rassembler : que tout le monde se tienne prêt, le défilé va commencer ! Alors, dès les premiers mètres, c’est la fête. L’ambiance est exceptionnelle, tout le monde danse – danseurs en costume côtoient Monsieur-tout-le-monde qui se laisse tout simplement entraîner par la musique. Et plus le temps passe, plus les corps se libèrent. Les pieds s’agitent, le rythme s’impose. Impossible de marcher mollement – de marcher tout court. Cela ne suffit pas. On est porté par la foule, porté par les musiciens. Le jazz est grisant, puissant, les oreilles se tendent vers la bouche arrondie des instruments, il ne faut pas louper une miette, il ne faut pas louper une note. Le regard est brouillé par l’explosion multicolore des costumes, c’est un feu d’artifice ininterrompu. S’ajoute à cet éclat une fascination pour les talons qui se soulèvent à toute vitesse, puis viennent claquer contre l’asphalte.
Maintenant, tout est calme autour de moi, mais mes pensées reviennent sans cesse en arrière, rembobinent la journée, s’attardent au cœur de la parade. Et je ne parviens pas à trouver de mots suffisamment forts pour traduire toutes les émotions, toutes les sensations qui ont été miennes durant le défilé. Il faut croire que parfois, certains moments sont si intenses qu’ils échappent à tout langage, rien ne peut les capter, aucune image, aucune tournure. Alors, le mieux que l’on puisse faire, c’est de les vivre, puis de savourer le souvenir impérissable qu’ils laissent.
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