Dames, Damoiselles, Sieurs et Damoiseaux,

Dans mon immeeeeennnnnse bonté (si, si), relevant le nez entre un exercice de maths et un cours de droit, j’ai pensé à vous, et ai décidé de vous dévoiler un premier extrait du Maître des Mondes (sixième et dernier tome du Monde d’en Bas, au cas où l’information vous aurait échappé 😉 ). Et si vous êtes sages, un deuxième suivra.

La capitale de la Cité Perdue se trouvait en effervescence permanente. Dans ses rues grouillaient perpétuellement des habitants pressés qui se croisaient en se bousculant, des enfants en plein jeu qui se faufilaient entre les jambes, des marchands qui portaient avec adresse des paniers garnis au-dessus de leur tête… Par jour de marché, la foule se densifiait encore. De délicieuses odeurs d’épices et de kocrates rôties emplissaient alors l’air. Et l’effervescence enflait. Certains clients s’invectivaient, chacun jurant avoir repéré en premier le bout d’étoffe à l’origine du litige. Les marchands eux-mêmes criaient, apostrophant vainement le chaland. Des enfants particulièrement téméraires surgissaient de sous les étals, écrasaient des pieds et bondissaient adroitement, avant de recevoir un blâme. Ce mélange quasi psychédélique de mouvements, de couleurs, de voix, ces voiles de soie chamarrés qui s’agitaient, ces bouches qui s’ouvraient grand, ces semelles qui battaient les pavés, ces étals renversés qui projetaient des fruits juteux sur les vêtements propres, ces caprices d’enfant à qui l’on refusait une friandise, ces musiciens de rue qui, coincés entre deux tables, grattaient les cordes d’un instrument, ces jongleurs ambulants qui forçaient la foule à s’écarter et récoltaient les applaudissements, tout cela constituait un spectacle dont il était impossible de se lasser.

Assa avait grandi dans cet endroit. Elle connaissait la ville par cœur, et gardait bien précieusement à l’esprit une liste de chemins de traverse qui lui permettaient d’éviter les axes bondés. Parfois, cependant, l’envie d’un bain de foule la prenait. Alors elle s’aventurait au milieu du marché, et s’amusait à capter des expressions, des sourires, des éclats de rire. Assa était donc habituée à l’effervescence de cette ville nichée à l’abri des Montagnes Enchantées.

Mais ce jour-là, la jeune femme sentit quelque chose de nouveau dans l’agitation qui, par vagues, secouait les rues. Il n’y avait rien de naturel dans ces mouvements saccadés. La fourmilière avait perdu toute son harmonie, et faisait presque peur à voir. Oui, c’était cela. Assa avait mis le doigt dessus. La peur. Elle suintait de tous les visages, se propageant d’un bout de la ville à l’autre.

La jeune femme sentait d’ailleurs ce terrible sentiment la gagner. Elle avait un mauvais pressentiment. La peur ne possédait pas toujours la même odeur. Mais cette odeur-ci, elle la connaissait : c’était l’odeur de Vrisac. Il n’y avait pas de temps à perdre, Assa le sentait.

©Héloïse De Ré, Le Maître des Mondes, 2019

J’espère de tout cœur que cette petite mise en bouche vous aura plu.

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